Après s’être retrouvée soudainement mal accueillie dans sa sphère d’influence traditionnelle, la France s’étend plus loin.
C’est pourquoi le président Emmanuel Macron se rendra cette semaine en Asie centrale, riche en énergie, pour visiter le Kazakhstan et l’Ouzbékistan, deux fournisseurs de l’uranium qui alimente les réacteurs nucléaires du pays.
Ce voyage vise à renforcer la sécurité énergétique de la France, selon deux personnes proches de la pensée du président français, qui ont requis l’anonymat lors des discussions sur les questions diplomatiques. Ces efforts s’inscrivent dans le cadre d’un effort européen plus large visant à se diversifier en s’éloignant des combustibles fossiles russes dont le bloc était autrefois si dépendant.
Mais il existe une deuxième motivation, disent les gens, qui consiste à inciter les anciennes républiques soviétiques à regarder au-delà de leur propre dépendance à l’égard de la Russie. Les responsables français suggèrent que la guerre en Ukraine a perturbé les relations établies de longue date dans la région, ce qui crée une opportunité.
Les vastes réserves de pétrole, de gaz et de minéraux de l’Asie centrale la placent au centre d’une lutte d’influence dans la région qui est habituellement le terrain de prédilection de la Russie.
La Chine étend sa portée grâce au projet d’infrastructure de la Ceinture et de la Route du président Xi Jinping, les États-Unis cherchent à renforcer leur présence politique, tandis que l’Union européenne s’efforce de lier la région dans un corridor commercial et énergétique qui traverserait le Caucase et se poursuivrait. L’Europe, contournant la Russie.
La France dispose déjà de quelques investissements importants dans la région ; par exemple, la société nucléaire française Orano SA – anciennement connue sous le nom d’Areva – exploite des gisements d’uranium au Kazakhstan via une coentreprise avec la société nationale Kazatomprom. L’approfondissement de la présence d’Orano sera au menu des discussions, selon un membre de la délégation, qui a refusé d’être nommé pour discuter des détails du voyage.
Pourtant, la recherche de l’uranium par la France devient encore plus urgente à la suite du coup d’État de juillet au Niger, qui était l’année dernière la deuxième source d’uranium de l’UE après le Kazakhstan. Orano a dû arrêter de traiter du minerai d’uranium dans l’une de ses installations dans la république saharienne parce que les sanctions internationales contre la junte militaire entravaient la logistique, a-t-elle déclaré le mois dernier.
« Le Kazakhstan est la clé de la sécurité énergétique de la France », a déclaré Michael Levystone, chercheur à l’Institut français des relations internationales basé à Paris. « La visite de Macron rappellera que Paris est prêt à intensifier sa coopération. »
En plus d’être le premier fournisseur d’uranium de la France, le Kazakhstan était également l’année dernière sa deuxième source de pétrole brut, en baisse par rapport à la première place en 2021, selon les chiffres du ministère français de l’Economie.
Déclenché par l’invasion de l’Ukraine et alimenté par des inquiétudes plus profondes concernant l’avancée de la Chine, le Kazakhstan est l’un des rares pays où les pays du G7 ont décidé plus tôt cette année d’approfondir leurs partenariats, selon un diplomate proche des dirigeants du Groupe des Sept. » délibérations internes.
Cela signifie qu’en courtisant les républiques enclavées coincées entre la Chine et la Russie, Macron se retrouve dans une tendance plus large.
La semaine dernière, les ministres des Affaires étrangères du Kazakhstan, du Kirghizistan, du Tadjikistan, du Turkménistan et de l’Ouzbékistan ont rencontré pour la première fois les ministres des Affaires étrangères des 27 États membres de l’UE, selon un communiqué de l’UE concernant cette réunion, tandis qu’en septembre, le président Joe Biden a rencontré leurs dirigeants le en marge de l’Assemblée générale des Nations Unies. Le même mois, le chancelier allemand Olaf Scholz les a accueillis à Berlin.
Dans le cas de la France, ces ouvertures ont lieu alors qu’elle fait face à une marge de manœuvre de plus en plus limitée dans sa sphère d’influence habituelle. Depuis 2020, des coups d’État dans neuf pays d’Afrique subsaharienne ont effrayé ou renvoyé des diplomates français, et dans certains cas, la menace contre les intérêts français a été alimentée par la Russie, sous la forme du groupe mercenaire Wagner.
La recherche d’alliés par Macron dans l’arrière-cour de la Russie est favorisée par l’ambivalence des pays d’Asie centrale à l’égard de la guerre en Ukraine. Alors qu’ils adhèrent fidèlement aux sanctions occidentales contre la Russie, du moins sur le papier, son voyage du 1er au 2 novembre arrive au moment même où les relations commerciales de ces pays sont elles-mêmes en pleine évolution.
Le président français se rendra avec une délégation de 15 chefs d’entreprise des secteurs de l’énergie, de l’agroalimentaire et des mines, selon un responsable de l’Elysée, parmi lesquels l’électricien de France SA et la société d’ingénierie Assystem SA, qui apporte son expertise pour la construction de réacteurs nucléaires.
Ils auront sans doute remarqué les projets du président kazakh Kassym-Jomart Tokayev d’organiser un référendum sur une centrale nucléaire qui réduirait la dépendance du pays aux combustibles fossiles.
Le Kazakhstan envisage également de commencer à extraire des métaux des terres rares l’année prochaine, au moment où Macron a appelé la France à être moins dépendante des matières premières chinoises cruciales pour l’industrie européenne des voitures électriques.
Malgré cela, plus tôt cette année, le président français a effectué une visite d’État en Chine, soulignant une stratégie visant à se distancier de la position plus belliciste des États-Unis à l’égard de Pékin et en ligne avec ses tentatives d’étendre l’influence de la France en Asie.
Macron est récemment devenu le premier président français à se rendre en Mongolie, signant ensuite un accord pour s’approvisionner davantage en uranium, tandis que l’année dernière, il a été le premier dirigeant français à assister à un sommet de coopération économique Asie-Pacifique avec les pays du pourtour du Pacifique.